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Quiet Quitting : Démission silencieuse, la nouvelle manière d’aborder le travail ?

9 janvier 2023

Quiet Quitting : Démission silencieuse, la nouvelle manière d’aborder le travail ?

Temps de lecture : 8 min

Le Big Quit, ou Grande Démission, a parfois été considéré comme un symptôme de la pandémie de Covid 19 se matérialisant par des vidéos virales de mise en scène de démissions sur le réseau social TikTok. C’est plus que cela. Au-delà des clichés sur la « quête de sens », ce mouvement concerne des citoyens aux aspirations et aux profils très divers qui décident de tout plaquer, quitte à être sans emploi plutôt que malheureux au travail. S’ils sont une minorité à oser démissionner, la démarche infuse aujourd’hui dans toutes les consciences et prend des formes variées comme le quiet quitting ou démission silencieuse. Au point d’imposer une redéfinition du travail ?

Qu’est-ce que le « quiet quitting » ?

“Vous remplissez toujours vos fonctions, mais vous ne souscrivez plus à la mentalité consistant à se démener pour le boulot, qui dit que le travail doit être votre vie. La réalité, c’est que ça ne l’est pas, et votre valeur en tant que personne n’est pas définie par votre travail […] Arrêtons de nous tuer à la tâche, de cautionner la hustle culture (la culture du burn-out), le travail n’est pas votre vie et votre valeur n’est pas indexée à votre productivité.” Voilà ce que prône une des nombreuses vidéos sur le quiet quitting postées sur TikTok et qui a fait le tour de la planète.

Elle résume bien cette aspiration des salariés qui, sans quitter concrètement leur travail, préfèrent rester dans leur emploi en se contentant d’effectuer le strict minimum pour répondre rigoureusement à leur fiche de leur poste : respect des horaires à la minute, pas de réponse aux sollicitations en dehors de leur activité professionnelle, pas de prise de responsabilité en dehors de celles du poste et tout cela pour préserver leur santé mentale. Car si la nécessité de gagner de l’argent n’entrait pas en ligne de compte, 48% des répondants, tous âges confondus, ne travailleraient pas du tout selon le sondage WorkMonitor de Randstad publié en avril 2022 et réalisé dans 34 pays.

Le quiet quitting est donc en réalité un renoncement à la culture de la performance absolue, à l’idée de se surpasser au travail et au fait de travailler toujours plus, sans compter ses heures, quitte à faire passer le travail avant tout autre chose.

Qu'est-ce-que la démission silencieuse ?
Photo by Thought Catalog on Unsplash

De la valorisation de l’effort à sa ringardisation

Le labeur, caractérisé par un effort physique intense, a longtemps été l’apanage de la classe ouvrière et paysanne largement majoritaire dans la société médiévale, par opposition à la bourgeoisie oisive. Incarné dans la fameuse maxime biblique selon laquelle il faut gagner son pain à la sueur de son front, l’effort est alors associé au travail et au gain, dans un cercle aussi vertueux que moral. Tandis que les progrès techniques et technologiques changent la nature du travail et sont censés faire disparaître la notion d’effort, la pénibilité demeure. Si la majorité des salariés ne fait plus d’effort physique pour réaliser son activité professionnelle, cet effort a pris une autre forme : effort oculaire pour supporter l’écran, effort intellectuel pour supporter les tâches et les emplois du temps, effort émotionnel pour gérer le stress et la cadence. Cette métamorphose de l’effort s’est d’ailleurs traduite à l’automne 2021, période de télétravail généralisé, par une augmentation de 25% des cas de burn-out par rapport à mai 2021 selon un sondage d’OpinionWay.

À trop tirer sur la corde, le schéma traditionnel de la réussite a fini par être rejeté par beaucoup. Dans le monde de l’entreprise postpandémie, les travailleurs zélés sont parfois moins respectés que ceux qui ont le courage de lever le pied ou de changer de vie. Avant, faire carrière signifiait tenir en flux tendu pendant 30 ans, tout en niant les périodes de l’existence comme la maternité et la période des enfants en bas âge. Maintenant la trajectoire n’est plus linéaire.

Quiet Quitting et démission silencieuse
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Démission silencieuse, une nouvelle forme de résistance en entreprise

Le rapport Gallup de 2022 met en évidence que ce quiet quitting serait lié au traitement injuste au travail, à une charge de travail importante, à une communication peu claire de la part des responsables et à un manque de soutien managérial.
Alors que ce soit à cause des heures de travail, des réunions Teams qui s’enchainent, de la charge mentale, du manque d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, de managers trop envahissants ou tyranniques… force est de constater que la seule solution trouvée par plus d’un Français actif sur trois est la démission silencieuse (37% des Français selon les résultats d’un sondage Ifop).
De plus, pour les jeunes Français, le fait de travailler et de s’investir doit donner lieu à une compensation qui n’est pas uniquement financière : souplesse dans les heures de travail, flexibilité dans les missions, environnement de travail convivial, utilité sociétale… Ce sont des éléments importants pour fidéliser ses employés. Il faut donner pour recevoir.

Si le passage à l’acte reste difficile, dans les consciences l’idée de la Grande Démission, ou plutôt les imaginaires qu’elle libère, est en train de faire son chemin à travers des formes hybrides. Ce phénomène émergent, derrière un terme accrocheur mais réducteur, est complexe à cerner. Il cache une multitude de sensibilités et d’aspirations différentes. A priori, peu de similitude entre une jeune américaine épuisée par ses cadences chez Wallmart et qui filme en direct sa démission sur TikTok avant d’ouvrir quelques mois plus tard un bar à ongles, et un jeune ingénieur préférant « bifurquer » plutôt que d’entrer dans une entreprise contribuant à la destruction de l’environnement. Une tendance qui déborde donc largement le stéréotype de la bobo parisienne partie élever des chèvres en Lozère, ou du conseiller d’un grand cabinet d’audit reconverti dans la boulangerie. Leur démarche esquisse des scénarii sur la façon dont nous travaillerons, ou travaillerons moins, dans le futur.