ACTUALITÉ EeFO

Faire un bilan de compétences pour changer de métier ou soigner les maux du travail ?

2 avril 2024

Créé en 1991, le bilan de compétences était un outil précurseur et central pour accompagner les salariés dans leur mobilité professionnelle. Il a, depuis, trouvé sa place dans la vie professionnelle des salariés puisque 15% d’entre eux réalisent un bilan de compétence au cours de leur carrière. Pensé à son lancement comme un outil de développement personnel et professionnel dans le but de changer de métier, il est de plus en plus activé pour répondre à un mal-être au travail.

Le code du travail le définit comme « Droit ouvert à tous les travailleurs pour analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations afin de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation ». Le bilan de compétences a pour objectifs de favoriser l’évolution professionnelle, le recours à la formation et ainsi fluidifier le marché du travail. Et conformément à ces enjeux initiaux, c’est bien le souhait de changer de métier qui arrive en tête des motifs de sa réalisation.

Cependant, les désirs de changement exprimés apparaissent amplement corrélés aux expériences vécues de travail, confir­mant que l’insatisfaction professionnelle est le principal déclencheur d’un bilan. Le bilan de compétences est ainsi souvent réalisé dans un contexte où le travail ne paraît plus tenable en raison des conditions ou de l’environnement, de conflits avec la hiérarchie, de problèmes de santé liés ou non au travail, ou encore d’un épuisement professionnel. Et cette tendance est plutôt récente. Selon une enquête réalisée en 2018 auprès de professionnels du bilan de compétences, les personnes accompagnées sont désireuses de changer de métier (96%), insatisfaites de leurs conditions de travail (93%), insatisfaites de leur environnement de travail (88%), en situation d’épuisement professionnel (84%).

Nathalie, conseillère spécialisée en bilan de compétences depuis 15 ans le souligne : « Le bilan a beaucoup changé en 15 ans. On a beau­coup de gens à la limite du burn-out. Soit on fait des bilans purement techniques, concrets, soit des bilans plus compli­qués, psychologiques. Souvent, il ne faut pas creuser beau­coup pour voir qu’il y a d’autres choses, ou que les gens se mettent à pleurer. Pas tout le temps heureusement, mais les gens arrivent en disant : “je n’en peux plus, c’est plus possible” ».

Souvent surgissent au cours des bilans de compétences des problèmes débordant du cadre initial, les salariés manquant « d’espaces » pour traiter de ces questions. Au point parfois de se voir réorientés vers un thérapeute. Le cadre du bilan de compétences, par l’écoute et la confidentialité qu’il offre, apparaît comme un dispositif original ayant peu d’équivalents et répondant véritablement à une demande sociale ne trouvant d’autres lieux d’expression.

De plus, le format du dispositif et de la démarche proposée, par la combinaison de logiques personnelles et profession­nelles, mais aussi rétrospectives, introspectives et prospectives favorisent l’expression d’attentes qui débordent le cadre du bilan de compétences, sans pouvoir toujours en être totalement découplées. En effet, mettre en action, favoriser la projection professionnelle et une attitude positive à l’égard du change­ment peut s’avérer compliqué en présence de problèmes plus profonds : « Je suis très surprise de voir des gens qui viennent en bilan, qui veulent changer parce que ça ne va pas du tout. Et au début j’étais là : Mais merde ! Y’en a pas un seul qui veut changer parce que c’est sympa ? Quelque chose de positif quoi » raconte Pascale qui exerce depuis 3 ans. Conçu comme un outil de soutien à la construction de projets professionnels et de formation, le bilan de compétences apparaît donc tiraillé entre des finalités politiques évolutives et la transformation de la demande sociale à son égard. Ces évolutions ont en commun d’amener le bilan à devenir un amortisseur des maux du travail et surtout à centrer l’attention sur les motivations individuelles.