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Le retour du vélo n’est pas une utopie

10 juin 2024

Le retour du vélo n’est pas une utopie

Economies d’énergie, frais réduits et bienfaits pour la santé font du vélo une alternative crédible à la voiture. Au cours des dernières décennies, la pratique du vélo a connu un retour en grâce dans les centres urbains français tels que Paris, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Nantes et Rennes. Cependant, en périphérie et dans de nombreuses petites villes, la pratique du vélo décline encore, comme le montrent les différentes enquêtes sur les déplacements des ménages menées tous les huit à dix ans.

Le retour du vélo est une bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent une ville plus paisible, moins bruyante et moins polluée. Certains s’en réjouissent moins. Les piétons craignent ce mode de déplacement silencieux qui les surprend, tandis que les automobilistes estiment que les cyclistes compliquent une circulation urbaine déjà difficile. Les conducteurs de bus doivent également redoubler de prudence lorsqu’ils dépassent les vélos circulant dans leurs couloirs.

L’histoire du vélo en Europe nous enseigne que ce ne sont ni les pistes cyclables ni les vélos en libre-service qui ont permis ce renouveau. Le facteur clé de sa popularité a toujours été le reflux de l’usage des véhicules motorisés ou la diminution de la vitesse autorisée.

Le vélo, une implantation en dent de scie

Dans les années 1930, l’usage du vélo était très répandu en France, comme en Allemagne, en Belgique ou en Suisse. Avant la Seconde Guerre mondiale, il y avait environ 9 millions de bicyclettes pour une population de 40 millions d’habitants, soit en moyenne un vélo par famille. Les ouvriers se rendaient en masse à vélo dans les usines et chaque commerçant avait son triporteur. La voiture était considérée comme un luxe réservé aux riches.

Cependant, entre 1950 et 1975, avec l’essor de la motorisation, l’utilisation du vélo a subi un effondrement dans tous les pays riches d’Europe occidentale. Au Royaume-Uni et probablement en France, cette baisse a été très marquée, avec six fois moins de cyclistes. À Copenhague, l’utilisation du vélo a été divisée par huit, et par dix à Berlin. Les Pays-Bas, où la pratique du vélo a été divisée par trois, ont connu une baisse moins importante, car le développement de leur industrie automobile a été plus tardive, vers la fin des années 1950.

En France, ce n’est pourtant pas la voiture qui a d’abord concurrencé le vélo, mais le deux-roues motorisé. Les constructeurs français ont joué un rôle clé dans cette concurrence en inventant des modèles tels que le Solex, la mobylette et le Peugeot BB grâce auxquels la France est devenue le leader mondial de ce marché entre 1954 et 1960. Face à ce lobby, l’État a timidement réglementé l’usage des cyclomoteurs, entrainant ainsi une chute rapide de l’utilisation du vélo et conduisant à de nombreux décès d’adolescents qui roulaient sans casque à une vitesse de 70 km/h sur des engins motorisés instables et débridés.

Avec la crise de l’énergie de 1974, l’usage du vélo revient sur le devant de la scène, encouragé par les politiques. Même si ce sont avant tout les luttes menées par les populations européennes contre l’invasion automobile des villes qui vont jouer un rôle décisif. Les pays les plus anciennement urbanisés, comme les Pays-Bas où plus de 50 % de la population vit en milieu urbain depuis 1650, et l’Italie du Nord avec ses magnifiques villes issues de la Renaissance, sont à l’avant-garde de cette contestation.

Aux Pays-Bas, les citadins se rebellent contre les voitures qui circulent à grande vitesse, mettent en danger les enfants et monopolisent l’espace public. Sous la pression des citoyens, les autorités acceptent de réduire la vitesse des voitures et d’interdire leur passage dans certains quartiers en instaurant des « zones 30 », des « cours urbaines » et des zones piétonnes. En Italie, dès 1969, Ferrare prend la décision radicale d’interdire l’accès du centre historique aux voitures afin de préserver son caractère urbain. Cette initiative est rapidement suivie par de nombreuses autres villes, et d’autres pays européens, tels que l’Allemagne, le Danemark et les pays scandinaves, emboîtent le pas. À chaque fois, l’objectif initial n’est pas spécifiquement de relancer la pratique du vélo, mais c’est finalement elle qui bénéficie le plus de ces villes apaisées. À Berlin, par exemple, où la ville a progressivement adopté une approche « ville 30 », la part du vélo dans les déplacements est passée de 2 % à 15 % en 40 ans.

Quand la voiture recule, les cyclistes sont de retour

Dans les années 1980, d’autres pays vont échouer à réguler la circulation. En France notamment, où l’on était préoccupé à la fois par la revitalisation des transports publics, qui avaient été négligés pendant longtemps, et par la sécurité des déplacements en deux-roues légers en confondant les cyclistes et les cyclomotoristes. Au Royaume-Uni et  en Espagne les pouvoirs publics cherchaient d’abord à combler leur retard en matière d’équipement routier et de motorisation.

En France, au cours des années 1990-2000, l’installation du tramway et la reconquête des centres-villes ont contribué à diminuer l’espace réservé à la voiture et à réduire sa vitesse. Et lorsque la voiture recule ou roule moins vite, les cyclistes font leur retour, aidés aussi en Europe et en Amérique par la mise en place de vélos en libre-service qui l’ont rendu plus visible.

Le retour en force du vélo s’inscrit donc dans une histoire européenne et mondiale de modération de la circulation en marche depuis plus de 40 ans. Les villes françaises, comme partout ailleurs, s’attachent encore aujourd’hui à calmer le trafic en multipliant les zones apaisées, y compris progressivement en périphérie. Il ne fait aucun doute que la bicyclette continuera à étendre son influence au gré de ces extensions et de l’arrivée de nouvelles générations moins attachées à la voiture.

Reste toutefois aux différents acteurs à recréer un écosystème performant autour du vélo qui signifie en même temps favoriser l’usage de vélos plus fiables et plus adaptés (avec notamment des vélos à assistance électrique), aménager un réseau de pistes cyclables dédiées et interconnectées, multiplier les services de réparation et de location, réapprendre aux divers publics à faire du vélo, adapter le code de la route aux cyclistes…

Le potentiel est immense

Si l’on en croit les exemples à l’étranger et les projections réalisées, la part de l’ensemble des déplacements urbains réalisés à vélo pourrait très bien se situer à au moins 20 % dans la plupart des villes françaises, et d’ici 20 à 40 ans. Copenhague, qui a déjà aujourd’hui 35 % de part modale vélo, c’est-à-dire que 35% des salariés utilisent le vélo pour se rendre au travail, compte parvenir à 50 % !

Reste à s’interroger sur ce qu’elle pourrait nous apporter. Le principal argument n’est pas aujourd’hui écologique, car les déplacements à vélo ne remplacent pas en premier lieu les déplacements automobiles mais en grande majorité des déplacements à pied et en transports publics, de quoi rendre les piétons plus véloces et désaturer les transports publics dans les centres-villes et les renforcer en périphérie. À terme, l’urbanisme se réorganisera autour du réseau de superpistes cyclables et de transports publics, apportant une alternative crédible à la (seconde) voiture, et les modes de vie s’adapteront.

L’enjeu décisif concerne plutôt la santé. Comme toute activité physique régulière, le vélo contribue à prévenir et guérir de nombreuses maladies chroniques, comme le démontrent les travaux des épidémiologistes. Avec la fin de la croissance, l’enjeu économique devrait bientôt s’imposer, non seulement pour les ménages qui réduiront leurs frais de transport, mais surtout pour les collectivités dont les finances sont exsangues : les aménagements cyclables sont en effet beaucoup moins coûteux que les aménagements routiers ou ferroviaires.

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