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L’Emploi des seniors

29 juin 2022

L’Emploi des seniors

Temps de lecture : 18 min

Prévenir l’usure professionnelle tout au long de la carrière, un levier pour le maintien dans l’emploi des seniors

Entrée plus tardive sur le marché du travail des jeunes, carrières irrégulières, augmentation programmée de la durée requise pour une retraite à taux plein : un ensemble de facteurs a conduit ces dernières années à faire reculer l’entrée des seniors dans l’âge de la retraite. Mais les seniors qui restent plus longtemps sur le marché du travail occupent-ils un emploi jusqu’à leur retraite ? Quelles pistes pour faciliter le maintien en emploi tout au long de la vie professionnelle ?

En 5 ans, le taux d’emploi des 55 – 64 ans est passé de 46 à 56 % en France (contre 83% chez les 25 – 54 ans) (chiffres OCDE T1-2022)*. Même si la France a atteint l’objectif fixé par l’UE il y a quinze ans de dépasser les 50% de taux d’emploi des seniors, elle reste dans la fourchette basse des pays européens : la moyenne de l’union européenne se situant à 61% (l’Allemagne et le Danemark étant à plus de 71% de taux d’emploi des seniors fin 2021). Malgré tout, entre la période en emploi et celle de la retraite, il existe une grande diversité de situations : près d’une personne sur deux est déjà inactive au moment d’entrer dans l’âge de la retraite (dont seulement 4% sont en pré-retraite). Ce qui signifie qu’une part importante des seniors vit une période d’inactivité ou de chômage, voire de longue maladie ou d’invalidité.
Sans compter que ceux qui retrouvent un emploi ont dû revoir leurs prétentions salariales à la baisse puisque la rémunération est le principal élément de concession dans la négociation.

Senior au travail

Emploi et santé des seniors

La nature de ces transitions vers la retraite questionne donc sur la possibilité de se maintenir en emploi ou de retrouver un emploi tardivement. Les difficultés des seniors s’expriment par un taux d’activité plus faible que pour le reste de la population active mais d’autres indicateurs doivent alerter sur ces difficultés : une accidentologie plus élevée, des restrictions d’aptitudes, des problèmes de santé, de l’absentéisme et du turn-over.

Ainsi, même si les incitations à l’embauche, à la formation et à la poursuite de l’activité sont utiles, elles ne permettent pas à elles seules de maintenir les seniors en emploi. Il convient alors de s’interroger sur les conditions de travail qui font émerger deux pistes de réflexion :

  • L’usure professionnelle :  un processus qui s’installe dans le temps
  • La santé au travail et les parcours professionnels : deux leviers inexploités

Qu’est ce que l’usure professionnelle ?

Par usure professionnelle, il faut entendre un processus d’altération de la santé qui dépend de la répétition et/ou combinaison d’expositions de la personne à des contraintes du travail. Pour le ralentir, voire l’enrayer, les travailleurs élaborent des régulations individuelles et collectives. Lorsque les régulations n’ont pas suffi, il y a usure par le travail (organisme affaibli) et pour réaliser le travail (difficultés à accomplir la mission). 

Dans la mesure où l’usure professionnelle s’installe dans le temps et s’alimente tout au long du parcours professionnel, les actions préventives à déployer ne concernent pas que les seniors.

Pour toutes et tous, il s’agit de mettre en place des organisations du travail « soutenables » tenant compte par exemple des rythmes, des horaires et des marges de manœuvre. Pour les populations et métiers particulièrement concernés par l’usure mentale ou physique, l’entreprise doit s’atteler à aménager les situations de travail difficiles, à alléger les contraintes horaires (jour et nuit), à faciliter les coopérations, à encourager les rotations entre les postes, à donner de l’autonomie, etc.

femme agée épuisée au travail

Agir de manière proactive

Souvent les entreprises prennent la mesure de l’importance de la gestion de l’usure professionnelle une fois qu’une situation d’urgence apparaît : augmentation des accidents du travail ou du nombre d’inaptitudes, fort absentéisme ou départ non prévu de salariés expérimentés. En plus de limiter les marges de manœuvre, cette réaction a postériori ne s’accompagne malheureusement pas systématiquement de la mise en place d’un plan d’action préventif.

De plus, les problématiques doivent être traitées de manière systémique en veillant à ne pas se focaliser sur un facteur donné, un indicateur qui s’emballe par exemple, sans traiter les interactions entre les différentes problématiques (absentéisme, risques psychosociaux, troubles musculo-squelettiques…), sous peine de minimiser l’efficacité de la prévention.

Établir un diagnostic social et économique

Pour traiter correctement la problématique de l’emploi des seniors et plus spécifiquement de l’usure professionnelle, l’entreprise a besoin de faire le lien avec ses enjeux économiques et sociaux : en quoi le vieillissement des salariés au travail impacte la stratégie et les projets de l’organisation ? En quoi cela représente-t-il une gêne ou un atout pour l’entreprise ?

Prendre en compte les phénomènes d’essoufflement professionnel tout autant que la pénibilité physique

Plus facilement visible, la pénibilité physique est naturellement prise en compte dans l’analyse de l’usure professionnelle. Mais il ne faut pas ignorer les processus de démotivation, de perte de sens au travail, de répétition (routine et non apprentissage), voire parfois d’épuisement psychologique, beaucoup moins pris en compte et pourtant tout autant pénalisants pour l’individu comme pour l’entreprise.

Homme agée à bout de souffle au travail

Prévenir l’usure concerne tous les âges

L’analyse du maintien dans l’emploi des seniors a tendance à se focaliser sur la population senior et à ignorer les travailleurs plus jeunes qui peuvent pourtant, eux aussi, rencontrer des difficultés dont les effets délétères ne seront pas visibles immédiatement sur leur santé. En agissant sur une amélioration globale des conditions de travail, sans différencier les actions selon l’âge, on limite l’usure prématurée des salariés plus jeunes tout en préservant l’organisme des vieillissants.

Faire évoluer les représentations sociales sur la séniorité

Le maintien dans l’emploi à un âge plus tardif se heurte aux représentations que se fait le monde du travail des salariés les plus âgés, sur la relation entre l’âge et les performances au travail mais aussi sur les comportements attendus. Plus de 75% des managers français (contre 60% des managers de l’ensemble des pays européens) considèrent que l’âge joue en défaveur de l’embauche d’un candidat (niveau de salaire plus élevé que celui des jeunes, productivité jugée plus faible, maîtrise des outils numériques jugée déficiente…). 

Cette perception est partagée par les employeurs, les cabinets de recrutement et les travailleurs. Diverses enquêtes convergentes sur ce point ont ainsi conduit l’institut Montaigne à conclure que « les entreprises françaises ne favorisent pas le maintien des seniors dans l’emploi ».

Si les représentations négatives peuvent avoir un impact sur les recrutements, elles peuvent aussi jouer un rôle sur le maintien dans l’emploi. Ainsi, les stéréotypes véhiculés à travers une communication négative sur les seniors peuvent agir sur la motivation et l’engagement professionnel de travailleurs âgés, à travers un mécanisme de « dévaluation » (c’est-à-dire ne pas considérer le travail comme une source de valorisation personnelle) et au final avoir un impact sur les intentions de départ à la retraite.

Personne agée formation ordinateur

Favoriser la formation des plus âgés

L’accès des seniors à la formation s’avère globalement réduit. Plusieurs causes ont été identifiées : inadéquation de l’offre de formation professionnelle aux besoins des seniors en France (pointée par l’OCDE), arbitrages des entreprises en regard de l’horizon temporel et de la période d’emploi restante, stéréotypes sur les capacités d’apprentissage, difficile expression des besoins de formation en entretien individuel (moins de la moitié des plus de 55 ans évoque leurs besoins). Or la formation s’avère essentielle dans la poursuite du parcours et le maintien dans l’emploi jusqu’à la retraite.

En conclusion, les seniors éprouvent des difficultés à se maintenir en emploi et leur taux d’activité ou de chômage ne sont pas les seuls indicateurs permettant de s’en rendre compte. Il s’avère indispensable de déplacer la problématique du maintien dans l’emploi des seniors vers celle de la prévention de l’usure professionnelle qui, elle, concerne aussi les plus jeunes. Il faut également faire évoluer les représentations sociales sur la séniorité, et sur ce champ il y a beaucoup à faire.

Face à l’allongement de la durée de la vie professionnelle, les entreprises se doivent de prendre en charge le « bien vieillir au travail » pour que les seniors puissent être en emploi jusqu’à l’âge de la retraite, et ce, aussi bien pour le bien être des travailleurs que pour celui de l’entreprise.

Sources : France Stratégie, OCDE et Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail

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