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Engie déploie le flex-office malgré des études de spécialistes peu élogieuses

7 novembre 2022

Engie déploie le flex-office malgré des études de spécialistes peu élogieuses

Temps de lecture : 6 min

Une grande majorité des bureaux des fonctions support à Paris et en province sont en flex-office ou en open-space, et ceux qui ne le sont pas encore pourraient le devenir. La Direction justifie cette transformation des conditions de travail par le télétravail : beaucoup de surfaces de bureaux ne sont pas occupées quotidiennement et donc les surfaces sont rationnalisées. Le gain pour l’entreprise est incontestable : baisser le coût de l’immobilier. Mais quel est le gain pour les salariés ?

Le concept de l’open space, que l’on peut traduire par « plateau ouvert » en français, est né dans les années 1950 aux États-Unis. Il s’agit de réunir des bureaux dans un espace ouvert et sans cloisons. C’est à partir des années 1980 que l’Europe adopte ce mode d’organisation des espaces, lequel évolue progressivement vers le flex office : un espace où les emplacements ne sont plus attitrés, les salariés s’installant là où ils le souhaitent ou là où ils peuvent… Selon le baromètre 2019 d’Actineo, l’observatoire de la qualité de vie au travail, 34% des actifs français partagent l’espace à plusieurs, dont 12% avec plus de dix personnes. 

Une (trop) belle image véhiculée par les start-up

    Selon les nouvelles générations, souvent fraîchement arrivées dans le monde professionnel, le flex-office est synonyme d’amélioration du bien-être car il permettrait de s’organiser librement dans le cadre fourni, avec, à la clé, création de lien social, renforcement de l’esprit d’équipe, hausse de la productivité, diminution des répercussions environnementales. C’est en effet l’image véhiculée par le flex-office dans les start-up. Mais Engie a-t-elle réellement mis en place les mêmes conditions de travail que celles qu’on peut voir dans les reportages ?

    Les entreprises elles-mêmes mettent également en avant une communication libérée entre salariés qui peuvent échanger plus vite et ainsi améliorer l’efficacité de leur équipe. Le flex office permettrait aussi de faire du benchmark entre équipes ou entre directions pour retirer ce qui se fait de meilleur dans l’équipe voisine. Sans compter les possibilités pour les salariés de développer leur réseau professionnel au contact de voisins issus d’autres entités.

    Photo by Alesia Kazantceva on Unsplash

    Respecter les besoins des travailleurs

    Pour atteindre ces objectifs, l’espace de travail devrait être divisé en deux zones principales : un espace de travail et un espace subsidiaire. Le premier prend souvent la forme d’open-spaces, et le second doit comporter des salles de réunion informelles, des espaces détente (machine à café, cuisine), des « bulles » (cabine téléphonique), des « meeting box » (cabines acoustiques de réunions), des « focus room » (salles de concentration où un salarié peut s’isoler de ses collègues). Or, chez Engie, là où le flex-office est déjà en place, ces espaces existent, mais en nombre insuffisant. Et d’après le dossier dont nous avons pu prendre connaissance, ces espaces subsidiaires ne seraient pas tous prévus dans les futurs espaces.

    De plus, avec le développement du télétravail, les entreprises (et Engie notamment) mettent en avant la vocation des sites de travail à devenir des lieux de vie et non plus des lieux de travail. Et c’est tout le contraire qui se passe avec l’open-space : les conversations en face à face diminuent de 73% (étude de Stephen Turban et Ethan Bernstein, professeurs à la Harvard Business School), au profit des e-mails envoyés (+67%) et des messages instantanés (+75%).

    Photo by Israel Andrade on Unsplash

    Si on interroge les utilisateurs eux-mêmes, 73% des salariés qui travaillaient en flex-office avant la pandémie ne veulent pas revenir au bureau dans les mêmes conditions, et 63% aimeraient dans l’idéal avoir un bureau fermé, individuel ou collectif d’après une étude de la chaire Workplace Management de l’Essec.

    Concernant les Directeurs, il est souvent dit qu’ils travaillent eux-mêmes en open-space et en flex-office, mais à bien y regarder, peu de collaborateurs s’installent à leur proximité et ils changent peu (voire pas du tout) de place… alors le flex-office des Directeurs est-il vraiment le même que celui des autres collaborateurs ?

    Des conditions de travail dégradées

    Travailler dans le bruit, ou au contraire dans un silence assourdissant de peur de déranger ses collègues, sur une table impersonnelle, transporter son matériel du bureau aux salles de réunion, de la maison au bureau ou ranger chaque soir ses affaires dans un casier pour les ressortir le lendemain matin… Ces petites sources de tension quotidienne viennent grossir les cahiers de doléances ouverts ces derniers mois. Des études régulières, menées par OpinionWay pour le cabinet de conseil en prévention des risques psychosociaux Empreinte Humaine, le montrent là encore : une majorité des salariés français se sentent déconsidérés, attendent de leur entreprise qu’elle reconnaisse les efforts qu’ils ont fournis ces derniers mois et leur offre des conditions de travail plus sereines. 

    A quoi l’on peut ajouter que le flex office accentue encore le sentiment que tout le monde est interchangeable. Mettre fin aux places attitrées remet en cause, symboliquement, la place que chacun occupe dans l’équipe. Et oblige les salariés à redoubler d’efforts pour ne pas devenir invisibles aux yeux de leur chef, pour maintenir les liens entre collègues, pour rester à l’affût des projets intéressants, pour valoriser leurs succès…

    Considérant tout cela, EeFO a demandé à ce qu’une large concertation soit ouverte avec les directions, les salariés qui sont les plus à mêmes de pouvoir témoigner de leurs besoins quotidiens, ainsi que les organisations syndicales.

    Nous pensons également qu’il faudrait « conceptualiser » le site Engie de « demain ». L’aménagement de certains de nos sites date de 2008 et ceux-là mériteraient un sérieux rafraichissement. La qualité de vie au travail n’est pas qu’un concept, c’est un prisme à travers lequel doivent être construits tous les projets immobiliers.