Au plus haut de la hiérarchie, les hommes, qui plus est les hommes seniors, sont légion. À contrario, les femmes ont tendance à disparaître, les femmes seniors devenant alors souvent inexistantes. Comme la mesure de la mixité ne tient pas compte de l’âge des femmes, à partir du moment où les entreprises peuvent montrer qu’elles ont bien quelques femmes dans leurs effectifs, elles se focalisent peu sur les femmes seniors. Mais que deviennent-elles ? Pourquoi ces femmes souvent brillantes quittent-elles leur entreprise ? Comment leur donner envie de continuer à s’investir ?
Dans les métiers de la logistique, les études concernant la représentation des femmes sont rares, mais une enquête menée entre 2016 et 2019 par Awsome et Gartner montre effectivement un phénomène de féminisation mais une sous-représentation des femmes aux échelons les plus élevés. Selon les derniers chiffres, la parité est quasiment atteinte si l’on tient compte de la masse salariale dans les pays développés. Mais lorsque l’on regarde les postes d’encadrement, elles ne sont que 29% alors même que le nombre de femmes formées est de plus en plus important. Et cette tendance est la même dans de nombreux domaines d’activité. La question se pose alors : que deviennent ces femmes, souvent brillantes ?
Celles qui font le choix de quitter le navire
Elles sont nombreuses à prendre la décision de quitter leur employeur. Car pour les femmes seniors, l’impossibilité de combiner les temps alloués aux différentes sphères de leur vie est le point de départ de leur décision de rejoindre des structures où la réussite ne remet pas en cause l’équilibre de la vie personnelle. Car pourquoi la réussite professionnelle devrait-elle exclure les autres sphères, familiales, personnelles, sociales ?
Ces femmes ne sont pas tant des lâcheuses que des pionnières qui quittent des entreprises où les codes, la culture et le pouvoir ont été historiquement définis par et pour les hommes, où les jeux politiques, le présentéisme, l’individualisme et le management toxique sont courants, où l’on ignore la sphère domestique et ses contraintes. Les femmes choisissent alors de s’investir dans un contexte plus éthique et responsable, où les vies personnelle et professionnelle cohabitent mieux. C’est donc bien pour être maîtresses de leur temps que ces femmes ont pris la décision de tenter autre chose. Mais aussi pour éprouver une autre manière d’exercer le pouvoir : plus collective et centrée sur les résultats. Elles partent alors dans des structures à taille humaine souvent dirigées par d’autres femmes dont elles partagent les valeurs, se lancent dans la création de leur propre structure, deviennent indépendantes. Ainsi depuis plus de dix ans, la part des femmes dans l’ensemble des indépendants ne cesse de croître. D’ailleurs ces femmes sont maintenant rejointes par de nombreux hommes qui rejettent la toxicité du management ou les emplois peu porteurs de sens.
Le placard ou le temps partiel
On l’a dit, la discrimination vécue par les femmes de plus de 50 ans est peu documentée. On constate toutefois qu’elles sont placardisées, discriminées ou poussées au temps partiel par une charge domestique accrue, que ce soit en tant que parent ou aidant. Jusqu’à récemment ce sujet n’intéressait guère que les concernées, mais cela pourrait bien être en train de changer. Les femmes de plus de 50 ans prennent davantage la parole dans les médias et compte tenu de la pyramide des âges, les entreprises ne pourront plus ignorer cette inégalité.
Le premier effet visible de cette discrimination est la différence de retraite entre les hommes et les femmes : la pension des femmes est en moyenne inférieure de 40% à celle des hommes1. En cause, le mélange d’âgisme (préjugé qui amène à considérer que les individus ont moins de valeur après un certain âge) et de sexisme qui mine la confiance et les opportunités des femmes au travail. Le vieillissement est souvent un problème genré auquel les femmes sont plus souvent confrontées que les hommes.
Pour y faire face, elles tentent alors de se conformer à des normes délétères en matière de vieillissement, craignant que leur âge soit utilisé contre elles. En 2023, 35 % des Français pensent que la ménopause a un impact dans le cadre professionnel, et 28 % estiment que celui-ci est négatif, d’après l’étude de la MGEN et de la Fondation des Femmes menée par Kantar. Selon l’Organisation internationale du travail, l’âgisme et le sexisme sont les deux plus grandes discriminations, devant l’origine ethnique et le handicap. Une enquête de l’Organisation mondiale de la santé menée en 2021 dans 57 pays révèle qu’une personne sur deux a des attitudes modérément ou fortement âgistes, préjugés véhiculés dans toute la société, les entreprises, les médias, le cinéma et les réseaux sociaux. Comment alors sortir du jeunisme quand la visibilité proposée aux femmes au-delà de la cinquantaine est quasi inexistante ?
Se désengager de son travail
Une dizaine de chercheurs se sont penchés sur les effets foncièrement délétères de l’âgisme sur les aînés. Ces effets se traduisent notamment par une fragilisation de leur santé psychologique mais également par un processus de désengagement, de retrait des différentes sphères sociales. Par exemple, c’est le travailleur âgé qui, face à la blessure de l’image négative qu’on lui renvoie en raison de son âge, se désengage de son milieu de travail, d’abord de manière virtuelle puis, de manière bien réelle. À cet égard, une question légitime se pose : combien de décisions de retraites « anticipées » ont-elles été guidées par un tel processus et par ricochet, dans quelle mesure ces décisions étaient-elles profondément réfléchies et volontaires ? Quelles pertes alors pour l’ensemble de la société qui se prive de l’expertise, du savoir-faire et surtout du savoir-être des travailleurs seniors tout autant que de l’ensemble des aînés. Car rappelons-le, dans le contexte de pénuries de main d’œuvre mais surtout dans celui où il est essentiel de construire des ponts et points de repères entre les générations, la mise à l’écart des plus vieux apparaît comme complètement paradoxale…
Alors que dans le fond, qu’est-ce qu’un vieux sinon quelqu’un qui n’a plus de projet, plus d’envies, qui n’est plus capable de s’adapter au monde qui change dont il est d’ailleurs de plus en plus déconnecté ? Et tout cela n’a rien à voir ni avec la ménopause ni avec l’âge !
1 : conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, chiffres 2019.