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L’hyper-communication et l’hyper-connexion numérique, résultant d’un recours excessif aux moyens de communication et aux réseaux sociaux, questionne notre rapport au temps, à la communication et à notre façon de nous lier les uns aux autres. Quelles conséquences sur nos communications interpersonnelles, sur notre équilibre et notre santé ?
Sans surprise, le temps passé par chacun d’entre nous sur son smartphone s’allonge d’année en année. Il est passé de 18 minutes en 2008, à 2h46 en 2015 contre 3h30 en 2021 (et 6h en ligne). Or le temps passé le nez penché sur un écran modifie le rapport aux autres. Jeter des regards à son téléphone alors même qu’on échange en face à face avec quelqu’un, avoir des absences dans la conversation car occupé à répondre à un message « urgent »… tous ces comportements auparavant socialement inacceptables sont aujourd’hui tolérés.
Le pendant, c’est une injonction à être joignable, connecté, disponible. De plus en plus de personnes se disent dépassées par ce diktat qui se fait au détriment de la qualité des relations construites dans la vie réelle. Dans quelle mesure ces pratiques atteignent-elles en profondeur le fonctionnement des interactions entre les individus ?
Des troubles psychologiques nombreux
Les chiffres sur l’usage du smartphone aujourd’hui varient mais certains vont jusqu’à dire que 60 % des français admettent ne pas être capable de se passer de leur smartphone plus d’une journée, que 61% regardent leur tablette ou leur téléphone dès le réveil, 48 % le consultent toutes les 10 minutes et que nous l’ouvrons en moyenne 150 fois par jour.
De nombreuses études montrent que l’immersion permanente dans le monde digital et la virtualisation des relations interpersonnelles contribuent au développement d’un large spectre de troubles psychologiques allant de la dépression à l’addiction, surtout chez les adolescents : « trouble du jeu vidéo », selfitisme, cybercondrie, cyberdépendance… le plus fréquent étant la nomophobie.
De l’anglais « no-mobile phobia » cette addiction entraîne un attachement tellement fort au téléphone que les victimes de ce trouble ressentent une impossibilité voire une douleur d’être séparé de leur téléphone, de le voir s’éteindre vide de batterie ou de ne pas capter de réseau. En 2008 cette peur touchait déjà 53% d’entre nous.
Vous voulez vous autotester ? Le questionnaire mis au point par Caglar Yildirim, un chercheur de l’Université d’Iowa, est disponible en français ici.
Les adolescents particulièrement sensibles au phénomène de « comparaison sociale »
En 2014 déjà, le psychologue Jean M. Twenge de l’université de San Diego constate que les américains présentent plus de symptômes dépressifs que dans les années 80, avec, pour les adolescents, un risque de souffrir de troubles du sommeil augmenté de 74%. La cause ? Principalement le phénomène psychologique dit de « comparaison sociale », consistant à comparer sa vie à celle des autres, qui touche à son paroxysme sur les réseaux sociaux où chacun tend à se montrer sous son meilleur jour.
Les ados traversent une période où ils sont particulièrement sensibles aux conséquences néfastes de l’hyper-connectivité. La vie en ligne, construite au travers d’un profil dédié aux réseaux sociaux ou un avatar de jeu vidéo, accompagne l’adolescent dans l’exploration de son identité, inhérente à cet âge. Les conflits liés à la « représentation de soi » – l’image qu’on donne ou pense donner aux autres – sont en effet propres à l’adolescence. Mais sur les réseaux sociaux, où toutes les erreurs et tous les faux pas sont partagés avec la communauté, cette représentation est affichée publiquement.
Une remise en cause de la capacité à tisser des liens dans la « vraie vie »
En outre, sociabiliser sur les réseaux sociaux peut aller jusqu’à fragiliser la capacité des individus à se lier à d’autres dans la vie réelle. L’institut Pew a montré en 2012 que seulement 35% des jeunes américains rencontraient encore des amis en face-à-face, que 63% d’entre eux reconnaissaient communiquer régulièrement virtuellement, avec une moyenne de 167 messages envoyés par jour. Aujourd’hui ces chiffres doivent être colossaux. Or, notre qualité d’être social nécessite de partager nos expériences de vie avec des personnes en chair et en os. Le contact physique, le toucher, la tendresse peuvent être dénaturés par le mode de communication virtuel. Un émoticône ne remplacera jamais un regard ou un geste. Des regrets, des excuses envers quelqu’un qui compte à nos yeux doivent être pleinement vécus et incarnés dans le corps pour être reçus et acceptés comme authentiques.
Si les réseaux sociaux nous permettent de « partager », « d’aimer » ou de réagir à des contenus, cela reste très différent de la communication directe de la vie réelle. De nombreux spécialistes qualifient ce sentiment de connexion d’« illusion de lien », qui s’avère totalement différent de la connivence établie au travers de relations authentiques avec des personnes bienveillantes.
Utiliser le fonctionnement du cerveau pour créer de l’addiction
Au cours de l’histoire de l’humanité, de nombreux outils et technologies ont irrémédiablement modifié notre fonctionnement mental. Ainsi, le silex, l’écriture, l’imprimerie, la calculatrice, la télévision, l’ordinateur nous ont profondément impactés. Mais la diffusion de leurs usages a été bien plus lente que l’hyper-communication et l’hyper-connexion, dont l’émergence a été massive et rapide. Alors que l’alphabétisation du monde a pris des siècles, les smartphones à bas coût se sont disséminés partout en moins de dix ans. Un battement de cils dans l’histoire des outils et technologies et un sacré défi pour le cerveau !
Le fonctionnement du cerveau permet d’expliquer comment la mécanique d’addiction à ces nouveaux usages se met en œuvre. Notre cerveau apprécie les nouveautés qui agissent sur le circuit de la récompense en libérant de la dopamine, comme c’est le cas avec un bon repas ou n’importe quelle drogue. Or, les études convergent vers l’idée que le monde digital constitue une source de plaisir qui stimule ce circuit de la récompense. D’un point de vue neurophysiologique, nous nous comportons donc comme des rats de laboratoire, appuyant de manière compulsive sur la manette nous délivrant les doses de sucre que sont pour nous les messages, informations et notifications numériques. Mais la limite d’une sur-stimulation épuisante est fréquemment franchie.
La conception des applis au sens large est de plus en plus orientée dans ce sens. Un nouveau métier appelé « growth hacker » vise même à trouver les moyens de décupler et faire perdurer le désir de jouer et se connecter. C’est le domaine d’étude et de marketing de « l’économie de l’attention ». Pour les professionnels, l’éthique va donc devenir un enjeu de taille.
Rééduquer son cerveau
En 2015, une étude de Microsoft Canada démontrait que notre capacité de concentration focalisée et continue était passée de 12 secondes en 2000 à 8 secondes en 2013. Même si ces chiffres méritent d’être corroborés, ils montrent qu’il devient important de travailler à renforcer nos capacités de concentration fragilisées par des pratiques numériques excessives. Les spécialistes conseillent :
- Les activités artistiques ou sportives car elles permettent de se focaliser sur une mono-tâche;
- La pratique d’un art martial, du yoga ou de la méditation qui permettent de mettre en œuvre concentration et coordination;
- Des programmes d’entrainement initialement conçus pour traiter les troubles de l’attention (TDHA) qui sont aujourd’hui utilisés auprès d’un spectre plus large de bénéficiaires avec pour objectif de les aider à renforcer la maîtrise, la prise de conscience et le contrôle de leur attention;
- Le réapprentissage à se passer d’écran. Le cerveau est une formidable machine à apprendre, conçue pour identifier nos régularités de comportement en vue de les automatiser. Donc si nous avons pris l’habitude d’aller vérifier l’écran de votre téléphone toutes les vingt minutes, notre cerveau prendra l’initiative de perpétuer cette pratique, sans même recourir à notre volonté consciente. Voilà pourquoi notre propension à consulter automatiquement notre téléphone grandit à mesure que nous l’utilisons, et qu’il nous est de plus en plus difficile de nous retenir de le faire ! Pour mettre un terme à cet engrenage, il devient nécessaire de rééduquer notre cerveau afin de le détacher progressivement des mauvaises habitudes qu’il a cru bon de nous faire adopter au détriment de nos capacités de concentration.
Pour ce faire :
- Tâchez d’espacer au maximum la consultation de vos objets et appareils numériques;
- Retenez-vous de consulter votre smartphone dans une file d’attente, sortez sans ou, encore mieux, choisissez délibérément de le laisser à la maison une journée entière;
- Sacralisez votre coucher et votre lever, même les jours de semaine, en ne consultant pas votre téléphone pendant une heure avant de vous coucher et après vous être levé;
- Instaurez des plages horaires sans téléphone, même au travail;
- Supprimez les notifications, vous consulterez vos messages quand vous l’aurez décidé.